Le cycle des enfants de l’Ogre

2014 DC Livre ogre2Les contes ont bercé mon enfance comme tant d’enfants : je les entendais de ma grand-mère Candide, ou bien, dès que j’ai su lire, je les lisais avec fascination dans ma chambre. J’aimais entendre les animaux parler, je rêvais de prince et de fées, je m’amusais des facéties des lutins, je tremblais des colères de l’ogre, j’acclamais les exploits du petit Poucet ou d’Aladin.

J’aimais ce monde de féeries, cet univers imaginaire et fantastique où tout était possible et où tout finissait bien.

Je trouve que les contes permettent tout, de dire ce qu’il y a de plus caché en nous, de rendre envisageable tous les rêves, de donner la force d’aller de l’avant.

Dans le prolongement de mon premier livre ( Le Dit des Dix ), j’ai écrit neuf contes qui pourraient être l’illustration d’étapes de vie ou d’initiation selon ce que l’on veut bien y voir. L’individu évolue et sa conscience s’élargit au fil des expériences, des épreuves et de ses dépassements.

J’ai autoédité ce recueil en septembre 2014.

En voici un extrait:

L’ogre qui avait toujours faim

Connaissez-vous l’histoire du Petit Poucet ? Et bien cette histoire est totalement fausse ! Quand Monsieur Charles Perrault a voulu retranscrire ce conte populaire entendu dans son enfance, il a tout mélangé. Le véritable héros de cette histoire, c’est l’ogre ! Il s’appelait Kernaor. Avec sa femme, ils étaient les derniers de leur espèce. Il faut savoir que les ogres constituent la première race d’humains, tous de très grande taille, qui ont peuplé la terre bien avant les humains actuels. Ils ont totalement disparu, ou presque, parce que la terre s’est rétrécie et qu’ils ne trouvaient plus suffisamment à manger. Ils ne pouvaient manger que de la viande saignante et fraîche. Et çà, à cause d’une tradition millénaire qui obligeait les ogres à faire boire à leur ogrillon du sang de dragon avant l’âge de un an. Le dernier des dragons avait été tué par le propre père de Kernaor quand il avait sept mois pour qu’il boive le sang qui le rendait ogre. Maintenant qu’il n’y avait plus de dragon, plus aucun enfant d’ogre ne pourrait à son tour devenir un ogre sanguinaire. Kernaor serait le dernier.

Kernaor avait sept filles toutes nées le même jour, et elles étaient totalement humaines puisqu’il n’existait plus de dragon pour les rendre ogresses. Elles ne mangeaient que des légumes, des fruits et du lait, parfois des oeufs.

Un jour, sa femme eut à nouveau des septuplés, des garçons cette fois-ci . L’ogre se fit violence pour ne pas les dévorer car lui et sa femme étaient de plus en plus affamés.

Bien que l’ogre fût fort riche, il ne mangeait pas à sa faim. La viande fraîche se faisait rare. Et comme lui et sa femme étaient immenses, hauts comme deux fois la hauteur d’un chêne centenaire, il leur fallait beaucoup de viande pour satisfaire leur appétit. Déjà, il y a bien longtemps, les ogres avaient dévoré tous les kalinacées, ces oiseaux énormes et gras qui avaient vécu avant les dinosaures. Ensuite, ils avaient décimé les dinosaures, puis les mammouths et les rhinocéros laineux.

Kernaor et sa femme avaient déjà dévoré tous les animaux sauvages des contrées avoisinantes. Leur propre élevage de bétail ne suffisait plus à les nourrir car un ogre n’arrête jamais de grandir et de grossir. Et sa faim devient toujours plus grande. Ils avaient acheté et mangé tous les animaux des fermes alentour.

Aussi, à la naissance des garçons, l’ogre les emmena-t-il loin de chez lui et les confia à un vieux couple qui n’avait pas pu avoir d’enfants. Et Kernaor tenta de les oublier.

Les années passèrent. Les fillettes avaient grandi et géraient maintenant le domaine. Elles s’occupaient du verger et du jardin potager. Elles veillaient sur les vaches et les moutons, et s’assuraient qu’ils se reproduisaient bien à chaque saison pour apporter un peu de viande fraîche aux menus des ogres. Ces sept jeunes filles étaient la bonté même, pleines de dévouement et de générosité. Elles avaient beaucoup de courage et entouraient leurs parents de toute leur attention. Mais leurs parents dépérissaient. Ils ne mangeaient pas assez et les repas de légumes les rendaient encore plus malades. L’ogre et l’ogresse ne se plaignaient pas. Ils savaient leur fin proche. Ils auraient pu survivre en mangeant des humains, mais ils se l’interdisaient car ils savaient qu’ils seraient alors tentés de manger ensuite leurs propres enfants.

L’ogresse mourut la première. L’ogre et ses filles la pleurèrent longtemps. Il fallait trouver une solution sinon l’ogre allait aussi mourir.

Un soir, on frappa à la lourde porte du domaine. Sept jeunes garçons d’une quinzaine d’années se tenaient là et demandèrent à parler à l’ogre. Leurs vieux parents venaient de mourir et dans leur dernier souffle, leur avaient révélé le nom de leur vrai père. Alors, ils venaient pour connaître leur père l’ogre.

L’ogre fut saisi d’un vertige en sentant cette odeur nouvelle de chair fraîche et voulut les manger sur le champ. Quand il comprit que c’était ses propres fils, il sombra dans le plus grand désespoir et la faim le tenailla de plus belle.

Les sept jeunes filles expliquèrent à leurs frères le drame que vivait leur père. Ils cherchèrent ensemble des solutions. La plus perspicace des filles eut soudain une idée :

— Trouvons un antidote au sang du dragon ! Il existe la loi des similitudes : le mal par le mal mais à dose infime ! Il nous faut du sang de dragon !

— Pour cela, il faudrait qu’il y ait encore un dragon vivant !

Se tournant vers l’ogre, ils lui demandèrent où se trouvait le dernier dragon avant d’être tué.

— C’était une femelle. Mon père m’a raconté qu’il l’avait pourchassée jusqu’à son nid, au sommet des monts d’Or. Il reste peut-être des œufs, qui sait ? dit l’ogre, épuisé.

— Où se trouvent ces montagnes ?

— Dans les régions septentrionales. Vous suivez la direction de la grande Ourse dans le ciel, mais il vous faudra des mois pour y arriver !

— Père, dit une de ses filles, n’avez-vous pas gardé ces bottes en peau d’ailes de dragon que vous mettiez jadis pour partir en chasse ?

— Oh, les bottes de sept lieux ! Je les ai jetées au fond du puits après ma dernière chasse.

Garçons et filles se précipitèrent autour du puits. Le plus léger des garçons qui s’appelait Tom, descendit le long d’une corde récupérer les bottes et les mit à ses pieds pour pouvoir remonter plus facilement. Les bottes s’adaptèrent aussitôt à sa taille et il n’eut qu’à s’appuyer d’un pied sur la paroi humide pour bondir d’un jet vers la surface.

— Avec ces bottes, tu en auras tout au plus pour sept jours aller et retour, lui dit l’ogre. Vas, mon fils et presse-toi. Je me sens très faible.

Tom partit sur le champ. Il arriva rapidement au pays des volcans, loin dans le nord. En les survolant, il comprit pourquoi ces volcans étaient des nids idéals pour les dragons. Ils étaient hauts, vastes, et la vapeur d’eau qui s’échappait de quelques anfractuosités créait une atmosphère tempérée et humide. Il les visita tous en fouillant le moindre recoin. Au dernier nid, il découvrit, sous une épaisse couche de branchages, un œuf préservé de couleur verte. Il était froid, gros et lourd. Tom ne pouvait pas le porter. Il se demandait qu’en faire quand il aperçut non loin de là, une étendue d’eau fumante alimentée par une source bouillonnante. Il se dit que si l’œuf n’était pas pourri, en le plongeant dans l’eau chaude, il pourrait arriver à maturité et éclore. Il le fit rouler et le poussa dans la mare. Il attendit ainsi 3 jours. Au quatrième jour, l’œuf commença à bouger et bientôt se fendit, laissant apparaître un bébé dragon d’un beau vert bleuté qui prit le jeune Tom pour sa mère.

Tom découvrit avec étonnement que ce petit dragon lui parlait dans sa tête par télépathie, et qu’ainsi, ils pouvaient communiquer et se comprendre instantanément. Tom lui expliqua pourquoi il était venu de si loin. Le dragon lui raconta alors la malédiction qui avait frappé son peuple et qui les avait détruits. Les ogres et les dragons vivaient autrefois en parfaite harmonie. Un jour, un puissant dragon voulut imposer sa domination sur tous les êtres de la terre et sur les ogres aussi, qui étaient alors des êtres paisibles et végétariens. Il exigea que les ogres lui sacrifient leurs premiers nés : ainsi, les autres enfants seraient épargnés. Ce règne douloureux et cruel dura bien trop longtemps. La souffrance et le chagrin poussèrent les ogres à la révolte. Ils décidèrent de tuer ce dragon maléfique. À force de ruse et de détermination, ils arrivèrent à le terrasser. Et pour calmer leur fureur, ils firent boire à tous leurs nouveau-nés le sang de ce terrible dragon. Ils s’aperçurent bien vite que ces enfants ne voulaient plus manger que de la viande, qu’en grandissant ils devenaient aussi puissants que les dragons eux-mêmes et pouvaient les combattre sans difficulté. Et ainsi commença la mutation des ogres et l’extermination des dragons.

— Sais-tu comment trouver un antidote pour que mon père l’ogre puisse être sauvé ?

— Je le connais cet antidote : seul un dragon peut le produire : il doit lui brûler la langue de son feu intérieur pour lui enlever le goût du sang ! Le feu et le sang sont frères.

— Tu es l’unique dragon vivant. Accepte de l’aider s’il te plaît !

— J’accepte de sauver ton père, Tom, et je t’accompagne.

Le jeune dragon était assez robuste pour voler et porter sur son dos le frêle jeune homme. Ils s’élancèrent du haut du volcan et mirent un jour et une nuit pour atteindre le domaine de l’ogre Kernaor.

Les treize frères et sœurs scrutaient le ciel depuis l’aube. Ils furent au comble de la joie quand ils virent le dragon survoler leur demeure avec Tom sur le dos.

Aussitôt au sol, Tom leur raconta tout ce que le dragon lui avait dit. Ils se rendirent auprès de l’ogre agonisant. Ce dernier accepta l’antidote malgré la souffrance à endurer. Le jeune dragon prépara son souffle et ouvrant sa gueule, projeta un feu ardent sur la grosse langue de l’ogre. La brûlure provoqua une grosse boursouflure sur toute la surface de la langue.

Un instant plus tard, la peau se détachait et l’ogre ressentit de curieux picotements dans tout le corps. Il se transformait à vue d’œil : sa taille diminuait et il devint très rapidement un humain solide, beaucoup plus grand que la normale mais bien plus petit qu’un chêne. L’odeur de la soupe au chou qui cuisait lui titilla les narines et il déclara avec force :

— Cette soupe sent rudement bon ! Je m’en ferais bien un tonneau !

Ils éclatèrent tous de rire. Ils apportèrent à leur père de quoi faire un repas délicieux et roboratif. Il reprit rapidement des forces et partagea bientôt avec ses enfants les différentes tâches que requérait leur vaste domaine. Il ne mangea plus aucune viande crue et découvrit toutes les saveurs des légumes, des fruits et des pâtisseries.

Le jeune dragon suivit le même régime. Devenu adulte, on s’aperçut que c’était en fait une femelle. Tom restait le seul à communiquer directement avec elle. Un jour, elle lui annonça son départ. Elle devait retourner dans son pays, dans le grand nord. Un autre destin l’y attendait. Leur séparation fut émouvante, mais ils savaient tous deux qu’ils resteraient à jamais reliés l’un à l’autre.

Le temps des ogres était passé. Celui de la renaissance des dragons se dessinait. Mais ceci est une autre histoire.

2 commentaires pour Le cycle des enfants de l’Ogre

  1. Joli ! il y a comme qui dirait des thèmes qui se répondent d’un blog à l’autre, d’un temps à l’autre. On les a tous entendu petits, on les connait tous et on les revisite un jour ou l’autre. Avec chaque fois une approche personnelle, et, ici, particulièrement réjouissante 🙂

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