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Les petits petons de Cendrillon
Cendrillon tenait au chaud ses petits petons devant la cheminée. Faut dire que dans cette grande maison remplie de courants d’air, il faisait froid souvent, hormis l’été qui était bref à ces latitudes. Si froid que la moitié de l’année, elle ne voyait ses deux sœurs et sa belle mère qu’au lit, malades à cracher tous leurs poumons, le nez cramoisi et les cernes violettes sous des yeux larmoyants. Ce qui fit de cette saison froide sa saison préférée. Son père ne revenait qu’au printemps et le reste de la maisonnée était soumis aux bons soins de la cuisinière qui leur concoctait, suivant l’avis du médecin mais surtout de sa longue pratique de guérisseuse, moult bouillons et tisanes pour enrayer le mal. Cendrillon était ainsi seule et libre de son temps. Autant dire que le manoir appartenait à la jeune donzelle, surtout cette année-là, celle de ses seize ans et de toutes les extravagances.
Pour se réchauffer, elle y mena grand tapage, invitant à danser les peuples alentours, ceux des forêts et des ruisseaux qu’elle côtoyait joyeusement dans ses balades buissonnières à la saison douce: sylphes et faunes, fées et magiciens, ondines et vouivres, lutins et nains ainsi que leurs amis animaux qui adoraient danser la gigue. Le cerf dansait avec Pan, la biche faisait une scène de jalousie, les nains allaient par deux, l’un sur les épaules de l’autre pour inviter Cendy, et les porcs épiques jouaient de la harpe sur leurs aiguilles. Les lièvres battaient la mesure de leur pied agile, le dindon glougloutait trois sons quand le pinson lançait ses trilles sans modération.
Durant six mois, la fête battait son plein et le manoir ne désemplissait pas. À l’aube du printemps, au réveil de la mère, c’est de colère dont les murs vibrèrent, soutenue par la voix de stentor du père rentré au bercail. Cendrillon, délaissée par ses amis sylvestres, devait nettoyer chaque pièce et surtout le grand salon d’apparat de toutes les immondices accumulées durant ces mois de liesse. L’odeur était pestilentielle, révélée et augmentée par le dégel, la crasse se cachait dans le moindre interstice. Le temps était court pour la jeune écervelée, un petit mois avant le bal de présentation des jeunes filles pubères à la cour du roi Octave, le samedi qui suit le premier jour de mai. Si elle n’accomplissait pas sa tâche dans les temps, adieu bal, présentation et mariage. Elle croupirait sa vie durant à s’occuper en gouvernante de la maison de ses parents vieillissants, destin inéluctable de toute fille célibataire de bonne famille.
Ses sœurs se moquaient d’elle et observaient ses efforts pour mener à bien sa besogne. Elles en rajoutaient même à la nuit tombée, jetant les ordures des cuisines et le contenu des bols d’aisance dans des recoins non encore visités. Pour elles, il était essentiel que cette pimbêche de Cendrillon n’aille pas au bal, elle leur ferait ombre avec son minois de porcelaine et ses cheveux d’ange roux. La veille du grand jour, Cendrillon n’avait nettoyé que la moitié des lieux. Elle mesurait déjà sa déconvenue et regardait avec tristesse sa robe en soie bleue qui n’attendait dans sa chambre que le jour crucial du bal princier. Les deux sœurs jubilaient. C’était sans compter sur les rats ! Attirés par les odeurs délicieuses des matières en décomposition, ils partirent cinq cent à l’attaque et furent des milliers dans la nuit à se délecter de l’aubaine. À l’aube, ils disparurent comme par enchantement. Les murs, les sols, les tentures brillaient de mille feux sous les ors de l’aurore. Cendrillon, descendant l’escalier sans illusion, fut bouleversée de joie, crut au miracle et remercia toute la création. Ainsi fait, elle courut dans sa chambre vêtir la robe du jour. Sous l’œil jaloux de ses sœurs, elle monta dans le carrosse paternel avec toute sa famille et fut présentée au roi ainsi que toutes les jeunes filles du royaume. Evidemment le prince Nestor n’avait d’yeux que pour la belle rousse. Mais il dansait fort mal, si bien que chaque soir, Cendrillon rentrait au manoir avec les pieds en compote. Le troisième et dernier jour du bal, elle mit des sabots pour protéger ses petons délicats et meurtris. Quand elle dansait, ça faisait un bruit d’enfer, un claquement grossier qui inquiéta le prince. Il osa lui demander si elle avait une jambe en bois. Furieuse, elle s’enfuit sur le champ dans la nuit, abandonnant dans sa course ses sabots dondaines. Elle rejoignit dans la forêt ses amis les elfes, les faunes et les ondines. Au son des harpes et des flûtes de Pan, dansa la ritournelle et se pâmât d’amour pour un prince sylphe qui l’emmena au septième ciel.
Le prince Nestor court encore la campagne à chercher la belle rousse aux sabots de bois, qu’il appelle Hélène mais il se trompe d’histoire.
Je suis morte de rire car pas plus tard qu’hier, nous délirions au travail sur une prothèse de jambe qui pourrait servir de vase déco à mettre sur toutes les tables de la salle à manger de la collectivité.
Bref, c’est furieusement bien retravaillé cette histoire. Elle est intelligente, cette princesse, c’est qu’elle aime faune et flore plutôt que bal et costumes, comme elle a bien raison.
Je prendrai un peu de temps dès que possible pour la mise à jour sur le concours.
Magnifique contribution au concours de la nouvelle août.
Merciiiii
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C’est l’emulation autour de ces réécritures qui en fut la cause et tu en est la cheffeu d’orchestre. Merci à toi
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Bien vue cette cendrillon 🙂
Il faudra nous en dire plus sur Nestor … Il a le physique du Nestor de Tintin ou de Nestor Burma ?
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Nan, dans ce genre dhistoire, je sens l’ombre deSchrek (influence hautement nuisible!!!) et le prince ne peut qu’avoir le profil prognastique (?) du trop Charmant
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Délicieuse ton histoire, Dominique… j’ai eu le sourire accroché tout autant qu’attendri pour cette Cendrillon… qui a fait du bruit juste au bon moment, et j’en ai jubilé de satisfaction…
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Merci Caroline, l’écriture était aussi jubilatoire, belle journée
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Faut quand même noter ces jean-foutre de nains, biches, cerfs, lapins, elfes et autres tralala qui sont là pour faire la fête, pour boire et fumer mais quand faut nettoyer, y a plus personne… Quelle époque merveilleuse vit-on !
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sont pas humains , peuvent pas comprendre !
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Tu veux dire qu’ils ont raison de ne pas comprendre ?
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C’est pas dans leurs préoccupations. Nettoyer, faire propre est une exigence humaine, acquise qui plus est, y’a qu’à voir le nombre de fois où on a demandé à nos enfants de ranger leur chambre ou de prendre une douche.
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J’aime beaucoup la brigade de rats nettoyeur et le prince Nestor qui se mélange les princesses !!
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pour les rats, ça s’appelle un deus ex machina (à déconseiller dans les vrais romans) et pour Nestor, il ne m’était pas vraiment sympathique dès le début.
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Hi, je me prenais un peu de temps après le repas toutes fenêtres ouvertes pour profiter d’un orage magnifique, enfin, qui rafraîchit et sur quoi je tombe, sur ta participation iconaclaste et jubilatoire au concours ! Quel régal cette revisitation ! Je m’en vais chanter gaiement sous la pluie, et en passant par la Lorraine.
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Merci Monesille pour ton passage. Ravie de les fées du conte. Envoie nous un peu de cette pluie bienfaisante (dans le sud) ça calmera les ardeurs coriaces du soleil.
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mais je suis au sud, et il tombe des cordes ! chic ! Bises
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Ah que j’aime les contes revisités avec malice, et franchement Nestor, tu parles d’un prénom pour un prince charmant ! Le coup des rats « marraines fées » sympa aussi.
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J’adore la chute après la description du calvaire de cette pauvre Cendrillon!
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